Une table, des ciseaux, de la colle et des images en pagaille, voilà l’arsenal du photo-monteur.
Utiliser le photomontage comme pratique artistique pour concevoir des images permet de faire
«machine arrière». C’est aussi être conscient que la photographie est un art et douter soi-même
d’en produire au travers de cette seule technique. Le photomontage apparaît soudain comme une
évidence, comme un acte des plus signifiants, parfaitement contemporain, adapté au contexte
actuel d’un flot incessant de toute forme d’information visuelle et plastique.
Le photomontage demande alors une certaine maitrise de la mémoire. Loin d’être une activité
iconoclaste, il relève plutôt d’un «animisme des images», «d’un polythéisme de la vision».
Concevoir et réaliser manuellement avec des outils simples et communs des photomontages
représente l’un des actes les plus significatifs pour un créateur qui souhaiterait réaliser des
images sensibles chargées d’extrêmes tensions.


Vincent Michéa


La Galerie Cécile Fakhoury a le plaisir de vous présenter Toi Seulement, une exposition
personnelle de Vincent Michéa. Dédiée à sa pratique du photomontage, Toi seulement est une
déambulation visuelle à travers les recherches plastiques qui ont jalonné la carrière de l’artiste au
cours de la dernière décennie. Connu pour ces peintures pop et colorées qui empruntent leurs
thèmes tant à une culture cinématographique et musicale populaire qu’aux quotidiens des villes
d’Afrique de l’Ouest, Vincent Michéa a également développer une démarche sérielle plus
confidentielle mais tout aussi ambitieuse que cette exposition entend faire découvrir et
redécouvrir. L’accrochage chronologique nous entraine de Paris à Dakar en passant par Abidjan,
trois villes qui occupent une place importante dans la vie de l’artiste, trois géographies mais aussi
trois influences culturelles qui se répondent et se font écho d’oeuvres en oeuvres.
Au commencement se trouve une collection de matières sensibles, des images, des textures, des
formes, des couleurs qui ont pour Vincent Michéa la double force des symboles. D’abord, des
matières sensibles qui en appellent aux sens : le doré mat et froissé des papiers d’emballage de
Kubor qui crisse à l’oreille quand on l’ouvre; la surface immaculée et brillante des tirages
photographiques qui invitent à être saisie à pleine main au risque d’y laisser quelques traces de
doigts; la trame pointilliste déclinée à l’infini qui fait vriller l’oeil du spectateur.
De la peinture au photomontage, Vincent Michéa a toujours travaillé dans un corps à corps de
matières, un rapport intime aux objets plastiques que toujours l’artiste choisit pour ce qu’ils lui
évoquent. Ainsi, ces matières sensibles en appellent-elles aussi à la mémoire. Les photos qui
servent de fondation aux oeuvres sont autant celles prises par Vincent Michéa que des clichés
qu’il empruntent à d’autres, mais toutes ont le point commun de former un panthéon de souvenirs
auquel on accède en filigrane. Les passions de l’artiste constituent ainsi ses sources d’inspiration
premières : au début des années 1980, une rencontre décisive avec le Sénégal et sa capitale que
l’on retrouve dans la série 100% Dakar (2014); son affection pour une scène artistique noire de la
fin des années 1970 à la créativité engagée qu’il évoque dans Or série (2015); ou encore Fatou,
épouse et muse de l’artiste, personnage principal des séries Fatou Pompidou (2017) et Fatou
New Look - Pompidou Remix (2020).
Travaillant dans ces matières vives de sens, Vincent Michéa se fait sculpteur d’images. « Je
coupe, je tranche, je taille, j’incise, je cisaille, je lacère, j’ampute, je décapite, je démembre… »
explique-t-il à propos de ses premiers photomontages. Dans ses oeuvres, l’artiste entretient un
dialogue à plusieurs voix avec l’histoire du genre et ses figures emblématiques qui ont marqué
l’histoire de l’art à partir de la seconde moitié du XXème siècle jusqu’à nos jours.
De l’extravagante dérision des Dada Raoul Hausman, John Hartfield et Hanna Höche, Vincent
Michéa garde et prolonge, dans un esprit joyeusement irrévérencieux, une posture de rejet des
conventions esthétiques. Ainsi, les cultures se mélangent, les matériaux aussi, le bas et le noble
s’inversent évoquant de manière plus contemporaine les travaux de Romare Bearden ou
Mickalene Thomas par exemple. La construction graphique des images s’inscrit dans la lignée
des travaux d’un Roman Cieslewicz et demeure souvent subversive dans son rapport au code de
la représentation. De ces échanges esthétiques nait alors une poésie visuelle caractéristique par
ses formes et qui traduit la vision engagée du monde de Michéa.
Démêler les noeuds de l’image pour démêler les détours de l’histoire; recomposer l’image pour
recomposer la mémoire, garder les éléments signifiants pour signifier d’autres imaginaires tel est
le projet esthétique qui guide, depuis une dizaine d’années, l’artiste dans son rapport au
photomontage. Vincent Michéa transpose ainsi sur un terrain contemporain des espaces et des
temporalités plurielles et nous invite à nous plonger dans les dimensions multiples de ses
créations. Dès lors, pour qui veut suivre les grandes lignes graphiques du récit de l’artiste, se
dressent alors les tenants d’une histoire personnelle dont la portée demeure pourtant
indéniablement universelle.

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