Enieme de degrés

NIT DOU MACHINE *
«Samb! pour une fois,je me décide à peindre dans ma vie »
Comment a-t-il fait Vincent Michéa pour tenir tant d’années son âme de peintre face aux emmerdements, aux larmes et aux déceptions d’amour ?
Comment a-t-il fait pour trouver l’expression la plus juste, pense-t-il, de ces aspirations sensibles dans la peinture, aujourd’hui ?
Comment a-t-il fait, ce graphiste né que j’ai rencontré à la fin des années 1987 et qui avait quelque chose de très profond dans le trait qui révélait déjà émotion, énigme, hypersensibilité, un mixage de timidité et de détermination ; fragilité ou force.
D’ailleurs on ne peut pas s’empêcher des années après, ces photos avec El Hadj Sy le présentant à son exposition du Musée Dynamique de Dakar au président Senghor, de penser à ces douceurs de l’émotion dans ses yeux.
Comment a-t-il fait Vincent Michéa, lui qui à Dakar était au bord de la dépression, tenaillé entre son amour pour Adji, sa peinture et son égo ?
Comment a-t-il fait lui qui plusieurs fois dans la nuit, entre les rues Félix Faure, Mohamed V, Jules Ferry, du Café Kermel au Club de jazz a failli nous abandonner ? je ne sais pas, en tout cas quelque chose d’exceptionnel doit s’être passé parce que chez cette espèce de créateur là, l’intelligence des choses, la volonté, la bravoure, la conscience des phénomènes et des événements prennent le dessus. C’est en ce moment là qu’ils se mettent à provoquer des ruptures, à prendre des engagements, à faire des choses folles pour ne pas dire étonnantes, à partir, à voyager. D’ailleurs on ne connaît jamais entièrement les raisons pour lesquelles ils courent.
Ses autoportraits, un travail important sur la problématique de la connaissance de soi, une plongée profonde dans une période de blessures d’amour, de conflits etc… Comment a-t-il fait pour vaincre son « moi-même » ? Maîtriser un passé traumatique et trouver dans « le degrés zéro » de la peinture, son lui-même. Comment ? En peignant des milliers d’heures des couvertures de disques de sa collection, alors il fait œuvre de peintre et d’historien de l’art nègre moderne ! Comment s’impose un travail modeste de trois braves « parler de sa période à 100% Dakar ! ! ! ! »
Non , il a du peut-être se passer quelque chose au cours de ses deux séjours à New-York ou quelque chose de très important au Sénégal… À propos je ne sais pas ce qui est advenu de son travail sur la confrérie Mourides.
J’imagine très bien en regardant les peintures sur les murs de son atelier, les sons, les pas, les phases d’une curieuse chorégraphie de Rumba, de Tango, mais de Valse aussi. J’imagine les paroles de chansons et des images qui renvoient tout à fait dans les souvenirs des indépendances en Afrique…
Vincent, en créant cette série et en l’appelant « Belle Epoque », met son talent gracieux au service de l’histoire et du mouvement de décolonisation des peuples. Maintenant on comprend mieux, derrière cette timidité et cette impression qu’il donne de quelqu’un qui veut tâter de tous les systèmes, à côté de cette inspiration apparemment instable, changeante et irrégulière, il y a une rigueur du crayon qui contraste avec la délicatesse, le raffinement de la série sur les Marabouts, mais passons…

Restons dans notre propos et soulignons l’humour dans cette nouvelles série, et effectivement dans le même geste il y a le sentir…Quelle image ! ! ! le portrait d’Ibra Kassé le patron du Miami Bar à Dakar. Une image très forte, qui nous projette du même coup loin dans une Afrique d’autrefois. La conscience de ceux qui ont été les précurseurs et les diffuseurs de la musique cubaine sur toute la côte Ouest-Africaine, jusqu’au Congo, dans le temps.
Ha !!! c’est une vive émotion que de regarder cet atelier à Paris, on y voit des personnes qu’on a connu, mais comment cela ce fait-il ? Comment ce fait-il que Bernard soit là assis sur une chaise, Hervé, Aram, Adji, ces êtres-là. Je vois bien des choses qui sont là une bonne fois pour toute, mais je voie des couleurs qui n’étaient pas là avant.
Vincent à bien fait de nous donner à entendre les voix de nos camarades de Cuba sur la musique de Pape Dagana Seck en Woloff.
C’est vrai, la peinture c’est aussi de grands sentiments, quelque chose d’encore innommable qui dépasse les races, les oreilles et les frontières. À présent l’art se trouve devant une situation où il sait qu’il devra compter avec l’errance, il est tant donc de trouver une porte de sortie artistique à ce conflit politique entre les civilisations qui durent depuis je ne sais combien de temps.

Slogan N° 1 : Commissaire priseur Maître X apatride.
Lots de peintures (pochettes de disques) Vincent Michéa assigné à résidence aux USA. Alors commence notre travail de critique biographique :

Vincent ! l’ethnopeinture est un système mondialisant, y entrer c’est travailler son passé à rebours, éviter de suivre le cours d’une époque quelle qu’elle soit !
Vincent, la peinture elle, n’a besoin que de peu de choses : l’enfance, la mémoire, la nostalgie, la technique, ce ne sont que des sentiments, pour le reste on suit l’humeur du soleil ou simplement le chemin de ceux qui ne cherchent plus rien et enfin produire de l’art pour être capable de supporter les maux de nôtre époque (comme ceux du 11 Septembre au USA et du 26 Septembre au Sénégal, le bateau Le Joola). La Belle Epoque c’est demain, la foi infinie à l’amour qu’il faut consacrer à un temps d’hommage différent de la fin des années 60, quand on ne comprenait pas les paroles des chansons, quand on dansait. On avait 20 ans quand on allait au cinéma assis sur des banc sans aucun confort pour voir Emiliano Zappata criblé de balles et on attendait là jusqu’à la disparition de l’image avant d’aller dormir, le temps suspendu au cœur et au chapeau de l’Algérien sur scène. C’est cela l’art contemporain qui nous a mis dans ces états depuis fort longtemps.
Ces peintures sont belles et ce n’est pas la technique, pas uniquement des sentiments, c’est une prise de position sans compromis, ni compromissions.

Logo N°1 : 100% Dakar, bismilahi rahmani rahimi
On voile, on étale, on embrume, on éclaire, on jette, on prend, on laisse, on délaisse, on examine, on improvise, on joue, on tourne, on retourne, on interroge, on consulte des hypothèses, on s’oriente, on se désoriente, on avance, on s’arrête puis on se lance dans la peinture en hurlant sur un pont à New-York. Mais attention durant la préparation, aller aux USA ne facilite pas la compréhension d’une nouvelle histoire de la peinture, le retour en Afrique est une exigence parce qu’ici on est toujours confronté aux limites de ses connaissances. Par contre aux USA, il n’y a plus qu’un grand marché de l’art , la peur et les droits d’auteurs.
En Afrique, l’Art est une expérience continue pour l’homme qui cherche une vie perdue dans une meule de foin ! C’est vrai, « Belle Epoque » est un hommage aux musiciens nègres mais pas uniquement, il est aussi pour tous les musiciens métis, tous les créateurs nuancés, Arabes, Mexicains et je ne sais quoi d’autre…
S’inspirer directement des pochettes de sa collection de disques est génial, car cela ouvre de nouvelles perspectives humaines à sa galerie de portraits en même temps qu’elle développe sa peinture. Ouvrir cette brèche a permis à Vincent de rendre un hommage, à travers un panorama de la musique en Afrique, à la période des conditions révolutionnaires au Congo, en Angola, en Guinée… Mais, au Congo encore, quand on sait que la peinture qui a pris forme à Potopoto, a acquis son importance pendant les années 60. C’est ainsi que, issus d’une génération d’artistes peintres formés par Pierre Lods qui va quitter le Congo pour rejoindre Senghor au Sénégal, nous avons continué à accueillir. C’est aussi l’époque des indépendances, des premières expositions importantes organisées par les intellectuels de la Négritude, je ne parle pas des expositions universelles coloniales, sans doute à dessein.
À supposer que la peinture soit porteuse d’une telle mission avec la musique : d’illustrer la parole de poètes, de contribuer à la lutte anticolonialiste, d’œuvrer à la conscientisation et l’unification des peuples de couleur colonisés et destinés à renouer sereinement avec leur expérience historique.
À proprement parler, on ne peut pas regarder les images de Vincent sans penser à « L’école de la négritude » parce qu’entre cette partie de son œuvre et celle de l’école de la Négritude (Potopoto) il y a de curieuses correspondances thématiques, parfois même des analogies stylistiques et des ressemblances qui ne sont pas le fait du hasard ni de l’imitation encore moins de l’habileté technique.
Ses peintures de pochettes de disques de sa collection, on pourra y revenir, la place d’honneur revient à la peinture, mais à vouloir placer ses œuvres dans le contexte artistique actuel (mondialisation), il faut bien sur faire un léger décalage par rapport à « l’avant-garde américaine née officiellement avec Andy Warhol ». Somme toute, le travail de Vincent que j’ai devant les yeux est une peinture de haute qualité, il faut simplement éviter de faire des rapprochements, même avec des événements politiques ou avec des configurations du marché de l’art actuel, mais pour cela comment faire ?

Pour le moment, la lumière pour nous reste dans le ravissement et la qualité technique de ses œuvres inspirées par de simples pochettes de disques. Mais alors si séjourner aux USA deux fois de suite est un signe d’explosivité de son talent, il est aussi le témoignage après tout d’un irrépressible besoin d’exister dans la peinture comme un corps, un geste, une goutte humaine.

Issa Samb (Dakar 2005)

* « L’Homme n’est pas une machine (traduit du Ouolof) »

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